Une faiblesse de Carlotta Delmont : des années folles et une héroïne envoûtante

Oui, je sais, d'aucuns attendaient patiemment (ou non, d'ailleurs) un article sur Corfou et ses eaux paradisiaques (mais pas que car, sinon, me direz-vous docteur Watson, j'aurais sacrément tourné en rond pendant cette semaine de rêve), et, à la place, vous vous retrouvez avec un énième article sur un livre. Certes. C'est mesquin de ma part, j'en conviens. Troquer un paradis terrestre pour un roman, c'est bigrement fourbe, vous auriez le droit de ronchonner. Mais ce livre est arrivé dans ma boîte aux lettres par un beau matin, dans le cadre d'un jury littéraire, et il fut une jolie découverte. Une faiblesse de Carlotta Delmont est émouvant et touche à ce petit point sensible qui me fait toujours frémir : la difficile appropriation de la réalité. Fanny Chiarello nous livre une oeuvre bien écrite et délicate, campée dans un décor d'Années Folles, de rideau rouge tombant sur des héroïnes intemporelles et de luxe discret et voluptueux. Carlotta Delmont est un personnage hors norme, qui m'a profondément émue avec ses frasques censées lui permettre de palper une autre vie, une échappatoire de la réalité... qui finit toujours par la rattraper.

Une faiblesse de Carlotta Delmont : une diva truquée, un amant et un impresario trompé

Nous sommes en avril 1927 et Paris piaffe d'impatience devant l'entrée en scène imminente mais retardée par un rhume de la cantatrice Carlotta Delmont. Après avoir été applaudie dans un triomphe suffocant, Carlotta Delmont disparait subitement, sans laisser de trace et il n'en faut pas moins pour que la presse friande de cancans s'empare de ce fait divers, quitte à éclipser de sauvages et macabres inondations. Ce déferlement médiatique nous fait découvrir le passé de Carlotta, qui n'était qu'une mezzo-soprano qui se rêvait en diva et modifia en profondeur sa tessiture pour atteindre les rôles inoubliables des héroïnes immortelles. Sautillant de rumeur en rumeur, la presse nous laisse entendre les frasques amoureuses de la prima donna, sa vie conjugale un poil terne et la fugitive possibilité qu'elle ne soit pas au fond de la Seine mais bien vivante et parcourant, beurrée comme un p'tit Lu (Colette, si tu me lis…), les cabarets parisiens. On entrevoit dans cette vie captée par Fanny Chiarello une camériste ayant les pieds bien ancrés sur terre, un amant descendu du piédestal que lui offrait son rôle, un impresario concubin pas si grand prince et une duègne, ombre délétère.

Une faiblesse de Carlotta Delmont : le fulgurant destin d'une femme qui rêvait trop grand

De coupures de presse en journaux intimes et lettres enflammées, Fanny Chiarello nous promène au gré de la vie sautillante de Carlotta Delmont. On découvre dans La faiblesse de Carlotta Delmont une femme passionnée et vibrant au rythme des opéras qu'elle chante avec son âme, qui se rêvait star de la scène mais n'avait pas franchement appréhendé la dépossession que la gloire engendre. Carlotta est emprisonnée dans la personnalité de diva que le monde adore ou exècre, obligée de se retrancher dans ses élans imaginaires, romantiques et mélancoliques pour échapper à une réalité qui ne lui a jamais convenu. Face à un monde qui ne lui pardonne pas d'avoir voulu échapper pendant quelques instants fugaces à sa vie de diva affublée d'un impresario protecteur et conjoint pantouflard, Carlotta Delmont sombre et contemple les paillettes lumineuses de sa vie passée. La faiblesse de Carlotta Delmont est sensible, bien écrit et joliment emporté ; mais il est surtout porté par un personnage émouvant, une femme ardente étriquée dans un rôle de femme célèbre qui ne lui convient pas car être une diva ne livre que fugitivement une vie de drame, celle des héroïnes qui se meurent sous les projecteurs le temps du dernier acte. Une faiblesse de Carlotta Delmont nous plonge dans les Années folles, les cabarets parisiens et les paquebots de luxe mais surtout dans la personnalité envoûtante d'une héroïne passionnante ; Fanny Chiarello nous livre un roman subtil, délicat et intrigant.