L’île du Point Némo : roman d'aventure déjanté
[Carozine se délecte avec le roman de Jean-Marie BLAS DE ROBLES : L'île du Point Némo]12 Nov. 2014
Amis du grand n’importe quoi, bonjour ! (en même temps, vous ne seriez pas en train de lire Carozine autrement…!) Cela faisait quelques semaines que le dernier roman de Jean-Marie Blas de Roblès (à vos souhaits… ce qui me fait penser au sketch du Professeur Rollin sur le temps passé à écrire son nom sur une copie à l’école, mais cessons de divaguer dans tous les sens), L’île du Point Némo, me faisait de l’oeil et que je rêvais de mettre la main dessus sans trop oser, pour cause de porte-feuille en péril. Mais, comme souvent, j’ai décidé de n’en faire qu’à ma tête et ai donc investi dans le roman L’île du Point Némo dont on m’avait vanté les louanges en me le vendant comme un « roman fleuve, un roman, un vrai ». Soit. La louange en question n’est pas fausse. Mais L’île du Point Némo de Jean-Marie Blas de Roblès est plus que cela. Beaucoup plus.
Martial Canterel avait quarante-cinq ans. Imaginez un visage étroit, les cheveux tirés en arrière, rebiquant de chaque côté -ceux d’un homme qui fait venir son coiffeur chaque matin et lui donne pour modèle le portrait de Louis II de Bavière à dix-huit ans-, de grands yeux verts avec des cils d’une densité telle qu’on l’aurait dit naturellement maquillé ; un joli nez et entre une moustache à la française et une touffe de poils en éventail sous la lèvre inférieure, une petite bouche charnue dont la moue déconcertait. L'île du Point Némo - Jean-Marie BLAS DE ROBLES
L’île du Point Némo : Martial Canterel, Shylock Holmes, un diamant… et bien d’autres
Par une matinée nimbée d’opium, Martial Canterel, dandy de son état, s’amuse à reconstituer l’une des nombreuses batailles d’Alexandre le Grand contre les Perses quand il est interrompu par l’arrivée érudite de son ami John Shylock Holmes (oui, je suppose que toute allusion avec le célèbre détective est loin d’être fortuite), accompagné d’un personnage à la peau sombre et balafrée, qui soulève la curiosité de Canterel : Grimod de la Reynière. En quelques mots, mentionnant des pieds droits récupérés sur des plages et portant une marque de chaussure inconnue (Anankè), ainsi qu’un diamant disparu, portant également le nom d’Anankè, Holmes entraîne son ami jusque dans le manoir anglais de Lady MacRae, qui n’est pas vraiment une inconnue pour Martial Canterel : Clawdia fut sa maîtresse et de leur union fugace naquit une petite fille charmante et endormie depuis des années, telle une Belle au Bois Dormant : Verity. La fine équipe décide aussitôt de partir à la recherche du fabuleux diamant, saute dans le Transsibérien après avoir déjoué une première énigme et se trouve confronté au terrible maître du crime, l’Enjambeur Nô. A quelques années lumière de là, Monsieur Wang dirige une usine de liseuses électroniques, Arnaud se préoccupe de l’avenir de l’amour de sa vie, une Haïtienne prénommée Dulcie et pour laquelle il a reconstruit une manufacture de cigare, Charlotte subit les assauts frénétiques de sa voisine au neurone flagada et Carmen se soucie de son mari atteint de « cécité sexuelle ».
A ce point du récit, la voix s’arrête, aussitôt remplacée dans les hauts-parleurs par une petite musique d’ameublement, de celles qui augmentent la production de lait dans les étables. Monsieur Wang regarde sa montre et hoche la tête devant l’exactitude de la performance. Dix-sept heures pile, du bon boulot. Pas une mauvaise idée d’engager ce type, songe-t-il en rajustant ces boutons de manchette. Une fois de plus, la sagesse des proverbes se vérifiait : sans entrer dans la tanière du tigre, comment espérer mettre la main sur ses petits ? L'île du Point Némo - Jean-Marie BLAS DE ROBLES
L’île du Point Némo : érudition et grain de folie pour un roman étourdissant
Jean-Marie Blas de Roblès s’est manifestement amusé comme un diablotin enfin sorti de son carton : L’île du Point Némo digresse à foison, fourmille d’inventivité et facétie, palpite de personnages tous plus déjantés les uns que les autres… et fleure bon le grand n’importe quoi : en pleine attaque du Transsibérien, il se met à pleuvoir des éléphants ; des siamoises sont devenues unijambistes après leur séparation et l’une d’elle possède un tatouage plutôt bien caché ; le point Némo (qui est donc le point dans l’océan le plus éloigné de toute terre émergée, voilà qui pourra entretenir quelques minutes la conversation lors de votre prochain dîner mondain) dévoile une île qui apparait comme bon lui semble ; des fiacres et des dandys côtoient des geeks et des liseuses numériques ; des abeilles se trouvent dans une position plutôt embarrassante ; la gouvernante Miss Sherrington est une vieille fille qui en a sous le capot… j’en passe et des meilleures. L’écriture est fluide et riche, le roman L’île du Point Némo est parsemé d’érudition… mais bigrement salace et un poil pervers. Alors, certes, je suis un tantinet prude au vu de ma réaction à la lecture de certains passages, mais, franchement, Jean-Marie Blas de Roblès : était-il nécessaire de nous dire que Monsieur Wang « décharge sur son iPad » pour que l’on comprenne qu’il est un pervers ? Non. Etait-il nécessaire de s’éterniser sur les problèmes du pauvre Dieumercie et des solutions franchement incongrues dégotées par sa femme pour nous prouver l’étendue de votre imagination (ou votre maîtrise de la construction alambiquée dynamitant l’unité temporelle) ? Non. A mon (humble) avis, L’île du Point Némo n’avait pas besoin de ces passages tordus et aurait pu, sans eux, être un roman absolument formidable car riche en rebondissements, en folie contrôlée, et l’histoire principale (le vol du diamant de Lady MacRae, donc, pour ceux qui suivent) n’avait pas besoin de ces chapitres pour tenir la route et nous maintenir en haleine. Mais passons. Le roman L’île du Point Némo navigue avec brio entre deux époques, sautille avec délice d’énigmes en situations abracadabrantes, pétille d’intelligence et dévoile quelques instants de poésie, flirte avec le grand guignolesque… quitte à en oublier, peut-être, l’intrigue principale et le fameux Enjambeur Nô. Mais qu’à cela ne tienne, les personnages illuminés et leurs folles péripéties nous procurent un immense plaisir de lecture. Jean-Marie Blas de Roblès signe, avec L’île du Point Némo, un roman jubilatoire d’érudition, d’espièglerie et délicieusement tarabiscoté. L’ile du Point Némo est une sorte d’odyssée déjantée, à la construction maîtrisée et au message intelligent. Jean-Marie Blas de Roblès nous livre un roman ébourrifant, véritable ode à la lecture, à l’effervescence tourbillonnante et incontrôlable du roman, aux arborescences multiples de la fiction. Une pépite qui dépote, en somme.
Derniers télégrammes de la nuit
Choses qui n’offrent rien d’extraordinaire au premier regard mais prennent une importance exagérée quand on les attribue à un philosophe chinois
Mystère du cadavre disparu. « Quand un arbre s’abat dans la forêt sans que personne ne soit là pour l’entendre, plastronne le meurtrier présumé, qui peut dire s’il a réellement fait du bruit ? »
Choses qui éveillent un doute raisonnable chez celui qui les entend
« Enfoncez la porte, on est morts tous les deux ! » hurlait l’unijambiste, affaissé sur le cadavre de sa femme. L'île du Point Némo - Jean-Marie BLAS DE ROBLES
Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!
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