Les filles au lion : un retour lumineux
[Carozine dévore le roman Les filles au lion - Jessie BURTON]
La chaleur est toujours aussi accablante, bien que l’orage menace, mais ce n’est pas grave, j’ai décidé que j’allais tout braver, en ce dernier jour de vacances, alors « hold on to your socks, folks » (oui, c’est mieux que le chapeau, ai-je décrété de manière fort arbitraire) ! En ce jour (bonjour) presque radieux, je vous parle d’un nouveau et furieux coup de coeur. Eh oui ! J’avais pu voir traîner dans un coin de rayon le tout nouveau roman de Jessie Burton (vous savez, celle qui a écrit le merveilleux roman Miniaturiste, que j’avais déjà follement aimé) : Les filles au lion. Étant fauchée comme les blés, mais curieuse, j’avais osé demander… et, la chance sourit toujours aux ravies de la crèche car j’ai été exaucée et le roman Les filles au lion s’est glissé dans ma boîte aux lettres samedi matin. Autant vous dire que je ne suis pas sortie de la journée. Cela tombait plutôt bien, d’ailleurs, il faisait trop chaud et la fête du fleuve battait son plein (ou pas). Qui dit trop de monde, dit une Carozine ronchon, donc autant rester chez soi. Et paf.
On ne connaît pas forcément le sort qu’on mérite. Les moments qui changent une vie —une conversation avec un inconnu à bord d’un bateau, par exemple— doivent tout au hasard. Et pourtant, personne ne vous écrit une lettre, ou ne vous choisit comme ami, sans une bonne raison. C’est ça qu’elle m’a appris : vous devez être prêt à avoir de la chance. Vous devez avancer vos pions. Les filles au lion - Jessie BURTON
Les filles au lion : une dactylo rêvant de plus grand et une artiste frustrée
1967. L’été écrase la monocorde ville de Londres où a débarqué, cinq ans auparavant, la jeune et brillante Odelle Bastien, de ses Caraïbes natales, juste après avoir obtenu son diplôme de littérature. Douée pour l’écriture et rêvant d’être romancière, comme tous ceux qu’elle admire tant et dont elle a été bercée à Port of Spain pendant toute son enfance, Odelle s’ennuie à mourir dans un emploi de vendeuse de chaussures… Jusqu’au jour où une femme sans orteils entre dans la boutique. Et qui, ô comble des heureuses coïncidences, s’avère également être le jour où Odelle est prise en période d’essai dans le prestigieux Skelton Art Institute, en tant que dactylo. Elle y travaille sous la direction du très british Edmund Reede, mais surtout sous la protection de l’étrange et facétieuse Marjorie Quick. Le soir du mariage de sa meilleure amie, Odelle fait la rencontre du jeune Lawrie Scott, qui vient d’hériter d’un mystérieux et magnifique tableau, Les filles aux lions, suite à la mort tragique de sa mère. Devant les réactions brutales ou cupides du Skelton Art Institute, Odelle enquête sur ce tableau qui soulève tant d’émotions sur son passage… ce qui nous fait remonter en 1936, dans une finca d’Arazuelo, dans le sud de l’Espagne, où la famille Schloss vient d’élire domicile. Ce changement de vie forcé alors qu’elle vient d’être acceptée dans une prestigieuses école de beaux arts londonienne, Olive Schloss l’accepte à bras ouverts quand elle fait la rencontre de Isaac Robles et de sa soeur, Teresa, et que cela éveille en elle des tourbillons artistiques la faisant peindre comme jamais encore.
Cette femme était peut-être une sorcière venue me montrer une autre voie. Je n’y crois pas vraiment ; c’est une autre femme qui s’en est chargée. Mais sa présence m’apparaît comme le dénouement macabre de ce chapitre de mon existence. A-t-elle perçu en moi une vulnérabilité semblable à la sienne ? Étions-nous condamnées, elle et moi, à combler le vide avec du papier ? Je ne sais pas. Une infime possibilité demeure : elle voulait juste acheter une nouvelle paire de chaussures. Pourtant, je vois toujours en elle un personnage de conte de fées, car c’est ce jour-là que tout a changé. Les filles au lion - Jessie BURTON
Les filles au lion : un roman solaire et envoûtant
Décidément, Jessie Burton a de l’or sous les doigts. En quelques lignes seulement, elle parvient toujours à nous absorber dans une atmosphère, une époque. Avec le roman Les filles au lion, nous voyageons entre le Londres des sixties, perçu à travers les yeux d’une Odelle exilée pour qui la ville paraît bien fade face aux couleurs des Caraïbes, et l’Espagne des années trente, aux prémices de la guerre civile, et dont rien ne semble entraver les couleurs lumineuses et la sensualité. L’écriture de Jessie Burton est toujours aussi mélodieuse et ravissante ; et, encore une fois, avec Les filles au lion, elle creuse au plus profond des âmes pour en dévoiler les secrets bien cachés, les failles… et l’on se demande même si, l’air de rien, elle n’aurait pas glissé dans le personnage d’Odelle un peu d’elle-même, notamment quand elle s’interroge sur l’écriture, les raisons qui nous poussent à nous y plonger et les attentes démesurées suite à une première publication. Avec Les filles au lion, Jessie Burton nous propose encore une fois une belle galerie d’héroïnes, troublantes, attachantes, fragiles et pourtant si fortes. Lumineuses. Autour de cette trame du tableau Les filles au lion, Jessie Burton nous offre un roman solaire et sensible, dont elle maîtrise à la perfection les rouages complexes, et qui nous plonge dans la complexité des relations familiales, souligne la difficulté de vivre sa propre vie en accord avec ses principes, mais également l’ambition artistique et cette aptitude du peintre à absorber la substantifique moëlle de l’entourage pour l’exploiter en couleurs chatoyantes. Les filles au lion est un roman comme j’adore en lire et qui m’émerveille. Jessie Burton est une magnifique conteuse d’histoires et Les filles au lion fut un joyeux coup de coeur. Un roman irrésistible à dévorer sans modération.
Il a regagné sa chaise avec un sourire idiot. La pluie tambourinait brutalement maintenant, mais c’était la pluie anglaise, pas la pluie de Trini. Chez moi, des chutes d’eau aériennes tombaient d’un ciel éventré, des semaines et des semaines de pluies tropicales torrentielles, des forêts détrempées, si vertes qu’elles étaient presque noires, les enseignes lumineuses éteintes, les escarpements boueux, des roses de porcelaine si rouges que les pétales semblaient avoir été peints à la main, et nous tous, à l’abri sous des auvents ou cachés dans les maisons jusqu’à ce que l’on puisse marcher sans danger dans le goudron brillant de la route. Les filles au lion - Jessie BURTON
Les détails du livre
Les filles au lion
Auteur : Jessie BURTON
Traducteur : Jean ESCH - The Muse
Éditeur : Gallimard
Prix : 22,50 €
Nombre de pages : 496
Parution : 9 mars 2017
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Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!
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