15
Août
2016
La mémoire des embruns : une Tasmanie ensorcelante (plus que le roman en lui-même ?)
[Carozine découvre le roman La mémoire des embruns - Karen VIGGERS]
Comme cela s’est si souvent (un peu trop ?) montré être le cas pour ces sélections mensuelles du jury le Livre de Poche Littérature, je passe directement à la sélection du mois d’août, sans vous parler des deux autres romans de juillet (du moins, pas pour l’instant : pas le temps, pas l’envie, pas le courage… car encore une fois plutôt… non, très, décevant). On saute donc directement au roman qui sera probablement le dernier élu (oui, car en gros, sans avoir lu les deux autres romans de la sélection, je peux prédire qu’ils ne seront pas à la hauteur d’un prix… Explications ! Jusqu’à présent, Le Livre de Poche m’envoyait trois romans : un pavé et deux autres plus légers. Forcément, seul le pavé arrivait à la hauteur d’un prix, malgré ses défauts. Le suspens n’est donc pas des plus vifs), je disais donc qu’aujourd’hui, sous un soleil de plomb, je vous parle du roman de Karen Viggers : La mémoire des embruns (The Lightkeeper’s Wife si l’on souhaite le titre original et nettement plus prosaïque).
Elle se trouvait à la cuisine quand cela se produisit : un coup sec et sonore frappé à la porte d’entrée. Le son rebondit dans le couloir, sur le plancher et le porte-chapeaux, ricocha entre les portes coulissantes et la surprit en train d’essuyer la table en rêvassant —elle s’imaginait marchant sur une plage de l’île de Bruny.
Elle réintégra d’un seul coup un corps plus vieux de cinquante années. Sa main, en dérapant, envoya une giclée de miettes au sol. Qui pouvait bien lui rendre visite à l’improviste ? La mémoire des embruns - Karen VIGGERS
La mémoire des embruns : une île battue par les vents et de nombreux souvenirs
Par une matinée comme tant d’autres, Mary Mason, vieille dame malade mais pas encore sénile, ouvre la porte de sa maison pour se retrouver face à une ombre de son passé qu’elle espérait bien enterrer avec elle. Malheureusement pour elle, l’ombre ne l’entend pas de cette oreille et lui confie une lettre, lourde de secrets que Mary aimerait autant ne pas voir dévoilés. Aussitôt, elle décide de faire ses valises et de s’installer dans l’île de sa jeunesse, l’île où elle a rencontré son mari, Jack, et eu ses trois beaux enfants : l’île Bruny. Se laissant porter par les souvenirs qui affleurent, Mary Mason espère bien faire la paix avec son passé, aidée par le garde forestier (transformé par les enfants de Mary en garde-malade, pour l’occasion) de l’île. Les seuls à comprendre cet ardent désir de mourir dans un lieu tant aimé sont son fils, Tom (son préféré, celui qui ne s’est jamais entièrement coulé dans le moule de la vie et est revenu brisé de son expérience professionnelle en Antarctique), et sa petite-fille Jacinta. Au fil des jours et de sa santé qui se délabre, Mary remontera les liens noueux de ses souvenirs, fera la lumière sur sa vie et aidera enfants et garde-malade à trouver leur voie.
En traversant l’île d’ouest en est, Mary regarda défiler les prés enclos en essayant d’en graver chaque détail dans sa mémoire. Ce voyage était différent de tous les autres, car c’était le dernier. Le paysage autrefois luxuriant avait l’air pelé. Elle se rappelait une époque où l’abondance des pluies enrobait l’île de verdure. Depuis quelques temps, les tempêtes qui éclataient au sud de l’île s’essoufflaient avant d’atteindre le Nord. La terre était aussi craquelée et sèche que la peau de ses mains. La mémoire des embruns - Karen VIGGERS
La mémoire des embruns : un roman mélodieux
D’une écriture souple et légère, Karen Viggers nous dessine une fresque familiale tumultueuse et magnifique, bien que sans réelle surprise. Les rebondissements de La mémoire des embruns sont prévisibles et ce, dès les premières pages du roman, mais là n’est pas l’essentiel. Car, sachant précisément comment tout se terminera, Karen Viggers peut s’attacher à ce qui importe : les personnages. Avec de multiples touches, à la manière d’un tableau impressionniste, La mémoire des embruns nous livre les secrets de Mary Mason et de son fils, Tom… nous dévoile leur psychologie, leurs peurs et leur passion. Chacun à leur manière, mère et fils ont été frappés de plein fouet par la vie : l’une à vu son mariage s’effriter face au silence et aux mugissements du vent ; l’autre a perdu une femme incapable de comprendre une passion dévorante pour les espaces lumineux et l’incroyable sérénité qui s’en dégage. Au fur et à mesure que Mary perd pied dans le présent pour se laisser absorber par un passé qu’elle revisite sans amertume ni regret, Karen Viggers évoque les relations familiales et amoureuses, laissant la nature prendre allègrement le dessus, entre ces terres parcourues par les bourrasques de vent ou ces vastes étendues blanches et hypnotiques qui capturent l’âme. La mémoire des embruns sent l’iode et c’est un écrin idéal pour une fresque familiale tumultueuse et délicate. Pas vraiment un coup de coeur car il manque à Karen Viggers une certaine flamme romanesque, d’autant que La mémoire des embruns souffre de la comparaison avec l’excellent roman Une vie entre deux océans, mais une belle promenade avec ces deux personnages travaillés par des paysages sauvages qui imprègnent leur personnalité, leur vision de la vie et de sa rudesse.
L’Antarctique possède un charme auquel on succombe pour la vie. Peut-être est-ce l’effet du paysage ; sa sauvagerie, son désert, sa nudité. Ou peut-être est-ce à force de voir tout ce blanc. Ou l’intensité des relations qu’on y noue. Quoiqu’il en soit, cet espace et cette clarté resplendissante opèrent sur vous une transformation. Vous vous découvrez autre, nouveau. Vous voilà capable de vous fondre dans les lointains. Et cette sensation de liberté vous donne des ailes. En même temps, le germe d’une nostalgie éternelle a été planté en vous. La mémoire des embruns - Karen VIGGERS
Les détails du livre
La mémoire des embruns
Auteur : Karen VIGGERS
Traducteur : Isabelle CHAPMAN
Éditeur : Le Livre de Poche
Prix : 8,30 €
Nombre de pages : 576
Parution : 16 mars 2016
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Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!
Autres lectures de Carozine : Les Intéressants : dense, tourmenté… mais j’ai connu plus intéressant.